On dirait que toutes les sociétés sont construites sur base de violences multiples, institutionnalisées et apparemment généralisées : la domination des plus vieux sur les plus jeunes, des homme sur les femmes, des experts sur les profanes, les riches sur les pauvres, etc.
Peu d’événements incarnent si bien cette multiple domination comme la naissance des êtres humains. Ce qui pourrait sembler normal puisque dès que le bébé apparaît, la société souhaite lui imprimer sa marque, le domestiquer, le séparer de la fusion avec le corps maternel. Ordonner le chaos.
Dans les sociétés « traditionnelles », les rites visent à inscrire le nouveau membre dans leur filiation, à chasser les mauvais esprits, à le protéger des forces surnaturelles et d’autres agents morbides, selon la cosmogonie propre de la société en question.
Dans nos sociétés, les bébés naissent sur l’autel de la science. On nous consacre, avant même que nous respirions, au dieu de la technologie. Échographies pour détecter des malformations et maladies, examens et diagnostics, mesures et analyse. Les rites de la naissance dans les hôpitaux nous confortent dans la croyance que nous pouvons tout contrôler et que ce contrôle est bon pour nous.
Sans ignorer les bénéfices indéniables des avances scientifiques pour détecter et traiter des pathologies liées à la gestation, à l’accouchement et au postpartum, il convient de se demander quelle est leur place. Est-il indispensable de faire un test de glucose à toutes les femmes enceintes ? D’appliquer des hormones synthétiques à toutes les parturientes qui tardent à dilater ? Utiliser un monitoring continu pendant des heures apporte-il une information réellement indispensable ou augmente seulement les risques de souffrance fœtale ?
Voilà les questions que l’institution hospitalière ne peut pas se poser jusqu’aux dernières conséquences. L’hôpital est une institution totalisante, uniformisante, homogénéisante. Les institutions comme les hôpitaux ont une logique de rentabilité et d’efficacité. Elles sont destinées à une prise en charge industrielle. L’homme doit s’adapter à la technique, la technique ne peut pas s’adapter à la infinie diversité humaine.
Gestion du personnel, gestion du matériel, gestion des espaces, gestion des risques, administration des coûts… voilà les logiques hospitalières.
Voici la logique de la société post-industrielle. Voici la logique violente que l’hôpital inscrit dans nos corps de femmes donnant la vie et dans les premières heures de vie de nos enfants. Cette violence est nécessaire quand un danger plus grand nous oblige à avoir recours à la science et à la technique pour faire face à un problème suffisamment grand, qui justifie de nous soumettre à ces logiques déshumanisantes. Recourir à la science quand la vie a besoin d’une véritable aide et ne pas lui abandonner notre corps et nos affects.
Rester à la maison tant que la vie se suffit à elle même nous garantit la sécurité qui découle du fait d’être respectées. Partir à l’hôpital quand la vie se gâte pour chercher ce qu’elle a perdu et, surtout,… s’approprier le pouvoir de savoir quand la ligne entre les deux a été traversée (ou déléguer le pouvoir à une personne qui possède les outils pour savoir si on a traversé cette ligne, sage-femme, doula, médecin ou un/e autre qui le fait en respectant notre humanité).
« Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre… et tu finiras par perdre les deux! » T Jefferson
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